sexta-feira, junho 17

L’UE au défi du printemps arabe : une vision pour nos voisins

António Vitorino, Jacques Delors


Les révoltes en cours dans les pays arabes  sont  surpris et parfois déstabilisé les dirigeants européens. Au même titre que les récents soubresauts  survenus  à l’Est de l’Europe, elles ont conduit l’Union européenne à s’interroger sur la stratégie à adopter  vis-à-vis de ses voisins, sans qu’il soit clairement perceptible à ce stade qu’elle soit parvenue à se hisser à la hauteur des événements.

Une opportunité historique pour l’UE

Se hisser à la hauteur des événements  survenus  dans  le  monde  arabe, c’est tout d’abord les qualifier comme il se doit, c’est-à-dire comme une opportunité historique pour l’UE : celle de sortir du dilemme stérile entre dictatures et islamisme, et par suite,  de  la  « préférence pour la sécurité » qui a longtemps pesé sur ses relations avec les pays des rives Sud et Est de la Méditerranée.  Cette vision sécuritaire a récemment conduit à insister de manière  disproportionnée sur les conséquences négatives potentielles des « révolutions » en cours, en termes de vagues migratoires ou d’éventuels risques terroristes. Si « risques » il y a, ils ne peuvent occulter la démonstration d’attachement aux valeurs d’ouverture, de démocratie et de liberté apportée par les Tunisiens, les Egyptiens et tant d’autres peuples du pourtour 
méditerranéen, qu’il convient d’encourager avec toute l’énergie nécessaire. C’est sur ces aspirations là que l’UE et ses Etats membres doivent construire une relation nouvelle avec les Etats dont les peuples aspirent au changement, en affichant son soutien moral et matériel et en combinant projets de court terme et vision stratégique.

Deux urgences : le soutien aux économies et aux sociétés civiles


C’est en évitant que la situation économique  ne se dégrade plus encore  dans les  pays  en mouvement que les avancées politiques pourront  être  consolidées  et  prolongées. Un plan d’aide européen  massifs’impose, qui doit reposer  sur  la  mobilisation  et  la  mise  en  cohérence  de  l’ensemble  des  outils européens et nationaux disponibles : aide humanitaire et aide au développement, prêts de la BEI, de la BERD et des agences nationales, projets d’investissement dans les secteurs vitaux tels que le tourisme et  l’énergie,  ouverture commerciale réciproque  y  compris  dans  le  domaine  de  l’agriculture... Cela implique également pour l’UE de bien se coordonner  avec  les  grandes Institutions internationales comme la Banque mondiale,  avec les Etats-Unis, la  Turquie,  ou encore les pays du Golfe,  qui sont aussi actifs dans la région. Comme au moment du « plan Marshall », l’ensemble de ces soutiens doit favoriser le rapprochement des pays bénéficiaires et l’intégration régionale. Leur mise en œuvre doit naturellement faire l’objet de négociations précises avec les pays bénéficiaires et être  proportionnée à leur degré de modernisation politique : attention cependant à ne pas imposer une conditionnalité trop stricte, qui retarderait ou diminuerait le soutien urgent dont ces pays ont besoin.
C’est aussi parce que des signaux d’ouverture seront adressés  aux  sociétés  civiles  et forces 
démocratiques qu’elles se sentiront confortées dans leurs choix. Les dirigeants de l’UE se fourvoient en polémiquant sur l’accueil de quelques dizaines de milliers de migrants, à l’heure où la Tunisie s’efforce d’accorder l’hospitalité à plus de 100 000 personnes ayant fui la Libye. Il est certain qu'il faut  Tribune Notre!Europe's!viewpointgérer les flux avec les pays de départ et s'efforcer de contrôler l’immigration clandestine en signant 
avec eux des accords de réadmission ; mais il est tout aussi essentiel de leur adresser un autre message, en facilitant la délivrance de visas pour les étudiants et les enseignants, ou à entrées multiples pour les professionnels. Sur le moyen terme, il importe d’aborder sereinement, au niveau multilatéral,  l’enjeu des migrations entre des pays européens vieillissants, pour qui le recours à la main d’œuvre étrangère est une solution davantage qu’un problème, et des pays voisins beaucoup plus jeunes, dont l’essentiel des ressources humaines a vocation à être employées dans un cadre interne, mais dont une partie aspire à rejoindre les pays de l’UE.


Un défi majeur pour la « politique européenne de voisinage »

Si la  politique  d’élargissement,  amplifiée  après  la  chute  du  mur  de  Berlin,  a  contribué  à  donner  un contenu concret à l’introuvable  « politique extérieure de l’UE », le printemps arabe doit  aujourd’hui conduire à renforcer l’un  des  autres « piliers » de cette  politique  extérieure,  c’est-à-dire la « politique de voisinage ». Cette dernière,  mise  sur  les  rails  il  y  a  quelques années, et dont la Commission européenne et la Haute représentante de l’Union Catherine Ashton  viennent de proposer  une refontebienvenue, doit permettre à l’UE d’adapter sa  vision  stratégique  aux  nouveaux  enjeux.  Il est de l’intérêt vital  de  l’UE  de fonder ses relations avec ses voisins méridionaux et orientaux sur  un  socle commun d’interdépendances et de valeurs partagées, et de  constituer ainsi  un véritable pôle d’influence  au  niveau  international.  Cette stratégie requiert aussi  une  implication forte  pour le règlement des conflits qui menacent la sécurité et la stabilité de régions toutes entières, comme c’est le cas en Libye. Dans ce pays, l’UE doit avant tout s’efforcer d’accélérer le départ des dirigeants en place et d’œuvrer à la reconstruction de l’Etat, en y associant l’ensemble des forces politiques et tribales.Dans le contexte de crise actuel, il serait particulièrement absurde de relancer des débats mortifères sur une éventuelle compétition Sud/Est. En effet, à l'Est, les peuples manifestent également leur soif de réforme, en Ukraine, en Géorgie ou en Biélorussie notamment. L’UE et ses Etats membres se doivent de développer la prospérité et l’Etat de droit dans l’ensemble de leur voisinage. L’UE peut mieux faire en mobilisant davantage de ressources que celles annoncées  sur le très court terme,  mais aussi  au moment de la renégociation du cadre financier qui va s’ouvrir.De la même manière, en mettant notamment l’accent sur  le  concept  de  « différenciation »,  l’UE doitoctroyer des avantages supplémentaires aux pays  s’engageant  à s’attaquer à leurs maux récurrents (népotisme, corruption, captation des rentes etc.), être intransigeante avec ceux qui bafouent les droits fondamentaux, tout en s’efforçant de soutenir l’ensemble des sociétés civiles.  Les  pays  pouvant bénéficier d’un « statut avancé », comme la Tunisie  ou  l’Egypte, sont amenés à jouer un rôle moteur dans le rapprochement de l’UE et de son voisinage : leur réussite fera figure de test pour l’ensemble des autres pays, mais également pour l’UE et ses responsables.

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